Didier Berberat
Conseiller aux Etats

Projet de rapport

Monsieur Didier Berberat, Conseiller national Rapporteur

LES POLITIQUES MIGRATOIRES DANS L’ESPACE FRANCOPHONE

Libreville 2 et 3 Juillet 2007

I- LES PROBLEMATIQUES

1- La construction des espaces communautaires, au Nord comme au Sud, mettent à rude épreuve la souveraineté des Etats à propos de la mobilité des personnes. L’espace communautaire fondé sur l’esprit de solidarité et de compétitivité entre pays riches et pays pauvres qui en sont membres, est régulièrement en crise à cause des phénomènes d’immigration tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des frontières communautaires. Aussi bien, en Afrique qu’en Europe, les migrations intercommunautaires posent autant de problèmes et de débats que les migrations internationales. Il ne sied donc pas de se focaliser uniquement sur l’actualité apocalyptique d’immigrés africains ou asiatiques dévorés par l’océan, ou encore sur des législations contemporaines de l’Europe sur l’immigration. 2- A l’intérieur de chaque communauté de l’espace francophone, il y a déjà de graves problèmes. C’est ainsi que de l’Afrique de l’Ouest à l’Afrique de l’Est, il y a des immigrés africains fuyant la pauvreté qui sont refoulés, maltraités et dépouillés de tous leurs droits dans des pays africains d’accueil. En Afrique, grand continent de richesses naturelles, si la guerre et la pauvreté ne sont pas la cause d’une immigration, elles en sont la conséquence. 3- Qu’il s’agisse de burkinabé, nigériens ou maliens en Côte d’Ivoire, de camerounais, gabonais ou autres nationalités en Namibie, Angola, Guinée Equatoriale ou Afrique du Sud, le débat de l’immigration se pose dans les mêmes proportions (presque) qu’en ce qui concerne l’Europe. Le débat et le discours sur l’immigration devraient alors aussi concerner l’Afrique en tant que continent regorgeant de pays d’accueil et de transit. Dans un article paru dans la revue Européenne des immigrations internationales (1994), Kouadio BROU et Yves CHARBIT démontrent que les immigrations ont été un moyen de procurer des travailleurs à l’agriculture ivoirienne et que ces immigrations sont fortement déterminées par des facteurs historiques, économiques et démographiques. 4- Même à l’intérieur d’un pays, les phénomènes de l’immigration peuvent connaître une grande ampleur. L’exode rural, c’est-à-dire la mobilité des populations rurales vers les centres urbains, le déplacement de populations issues de zones défavorisées (par l’action des gouvernements ou par la nature) vers des régions plus prospères, constituent l’essentiel des migrations à l’intérieur d’un pays. Ces migrations sont tout aussi problématiques que celles internationales. En rappel la stabilité politique, sociale et économique du pays peut en dépendre. 5- Le mythe de l’immigration zéro doit s’effondrer au profit d’un juste équilibre entre les politiques et les discours publics sur les migrations (nationales) internationales. Tous les pays du monde sont potentiellement des pays d’origine ou des pays d’accueil de migrants. Si les discours publics sur les migrations dans les années 1970-1990 étaient peu marqués par l’idéologie, les discours des années 2000 deviennent dangereux, voire négatifs non seulement pour les pays d’origine mais aussi pour les pays d’accueil. Ces discours sont si idéologiques qu’ils ne permettent plus un dialogue entre les pays concernés qui se considèrent désormais comme « pays agressés » ou « pays humiliés ». Cette profusion de discours négatifs et exclusifs tend à provoquer une rupture que la francophonie a mise plusieurs décennies à construire ! Entre ces deux types de pays, l’histoire de l’humanité a montré qu’il y a toujours eu et il y’aura toujours des migrants. Le débat n’est donc pas d’être pour ou contre l’immigration, mais plutôt comment gérer les flux migratoires en fonction de l’intérêt et de la souveraineté nationale de chaque pays ou communauté ? « Les droits de l’homme reculent et les trafics prospèrent sur les interdits et le besoin de main d’œuvre de l’économie. Il est temps de débloquer le débat, de sortir de l’Hypocrisie et de remettre l’humain, le développement et la solidarité au cœur des politiques migratoires ». L’Europe et l’Afrique francophone doivent se parler et l’Afrique doit se parler à elle-même d’abord et regarder sa jeunesse droit dans les yeux. L’Europe a besoin d’immigrants, mais plutôt qualifiés et compétents ; l’Afrique a besoin de qualifier ses ressources humaines pour son propre développement et non celle de l’Europe. Entre ces deux certitudes, où est la vérité ? 6- L’accroissement des flux migratoires, quelle que soit leur forme (immigration clandestine ou réglementée), confère aux politiques migratoires une priorité nationale et internationale dans les différents agendas. L’accroissement des flux migratoires et leur traitement mettent les droits de l’Homme en péril et menace les relations diplomatiques et historiques des Etats. Les liens hérités de l’histoire entre pays d’accueil et pays d’origine se distendent (France- Maghreb, Afrique Noire- France,….). Des pays d’émigrations deviennent des pays de transit, et aussi les pôles migratoires se sont beaucoup diversifiés entraînant du même coup l’apparition d’une migration de plus en plus qualifiée. 7- La vérité ne se trouve pas dans le durcissement des législations qui alimente les trafics, elle ne se trouve pas non plus dans l’attraction des personnes les plus qualifiés du Sud, ce qui fragilise les processus de développement au Sud. En vérité la solution devrait se trouver dans le développement solidaire- d’aucuns diront le co-développement- et dans la mise en œuvre de politiques migratoires aussi bien au Sud qu’au Nord. Ces politiques migratoires, si elles sont justes et bonnes, garantissent aux pays d’origine et d’accueil des avantages d’une migration internationale. Elles apporteront une gestion équilibrée des mouvements migratoires, à la fois accueillante, rigoureuse et en accord avec les besoins économiques et culturelles de chacun. 8- Les embarcations de fortunes de jeunes africains aux portes de l’Europe doivent cesser. Elles ne peuvent cesser que par une action responsable des pays d’origine et non pas par des fermetures des portes de l’Europe. Les portes de l’Europe doivent rester ouvertes, mais aux conditions qu’elle seule aura déterminées. Les candidats à l’entrée de l’Europe doivent satisfaire aux conditions légales. En contrepartie de sa seule compétence à ériger des conditions d’entrée, l’Europe doit être consciente des conséquences d’un « unilatéralisme » qui ne tiendrait pas compte de l’intérêt des pays de départ. En adoptant des politiques migratoires qui assimileraient l’immigration vers le Nord à une « fuite des cerveaux et des bras habiles » du Sud, l’Europe court le risque de désarticuler les processus de développement des pays du Sud et de retrouver le même problème des « immigrations illégales » quelques années plus tard. Aussi bien pour le Sud que pour le Nord, l’immigration ne doit pas être appréhendée seulement comme un problème, mais aussi et surtout comme une solution.

II- LES POLITIQUES MIGRATOIRES

L’APF et l’OIF, devraient encourager les pays francophones à élaborer et à mettre en œuvre des politiques migratoires nationales- et concertées- et à des actions de co-développement.

9- De fait, pour l’Europe et l’Afrique, la question des migrations internationales est traitée sous l’Angle de l’utilitarisme. En effet, les pays d’accueil veulent une immigration « utile » et les pays de départ se débarrassent « utilement » de leur trop plein de chômeurs. Les stratégies de contrôle et de réduction de l’immigration peuvent paraître contradictoire avec les principes de la mondialisation. A l’heure où la circulation des biens et des services est des plus dynamiques, celle des personnes est la plus réduite, du moins pour les populations du Sud. Cette limitation, loin de décourager les candidats à l’immigration, a tendance plutôt à renchérir les coûts des migrations. La réduction des migrations légales où le durcissement des lois sur l’immigration peut entraîner la multiplication des réseaux de trafic clandestins ; les parcours et les intermédiaires deviennent plus chers et c’est la misère qui est ainsi vendu au plus haut prix. La fermeture des frontières peut devenir « une fabrique de sans papiers » fournissant une main d’œuvre « bon marché dont profitent allègrement des secteurs d’activités comme le bâtiment ou la confection, et de plus en plus la restauration et l’agriculture… ». Et c’est ainsi que se justifie dans les Etats de l’Union Européenne la tolérance à l’offre de travail illégal à travers des ouvertures sélectives pour importer une main d’œuvre qualifiée quand elle fait défaut. Des accords bilatéraux et multilatéraux et des aides à la formation professionnelle des populations du Sud pourraient progressivement remplacer le tout sécuritaire et offrir une meilleure sécurité à tous. Et ce ne sont pas les ressources financières qui vont manquer. Selon des estimations de l’Organisation Internationale pour les Migrations, le trafic lié aux migrations représenterait entre 600 millions et 2 milliards de dollars par an et sans compter les moyens pour lutter contre ce trafic.

10- En étudiant les évolutions qui ont affecté le phénomène des migrations, on se rend compte de l’importance de plus en plus grande de l’influence du marché du travail sur l’origine, le profil et la destination des migrants. La politique migratoire au Japon nous offre une parfaite illustration de ce qu’il peut advenir de la volonté d’un pays à opter pour une immigration de travail. La loi d’immigration japonaise de 1990 distingue nettement les étrangers « légaux » et « illégaux ». La politique migratoire du japon répond à une double préoccupation de préserver « l’harmonie nationale » tout en renforçant l’influence internationale du pays et de concilier son système de travail auquel est attribué sa compétitivité. C’est ainsi que la politique migratoire nippone autorise la venue de travailleurs hautement qualifiés (malgré cette volonté affichée, les effectifs restent faibles) limités aux cadres étrangers susceptibles de contribuer à l’adaptation des entreprises au marché international. En même temps, elle laisse de larges possibilités pour des emplois de courte durée (étudiants, stagiaires, collégiens) et interdit l’embauche d’étrangers à des postes non qualifiés. Malgré l’existence d’une telle politique migratoire, il existe au japon des « travailleurs illégaux », d’ailleurs plus nombreux que ceux qui disposent d’un statut. Cette réalité sociologique qu’est la présence de nombreux immigrés irréguliers malgré une forte législation est identique dans tous les pays d’accueil. Les législations à elles seules ne suffisent donc pas.

12- Pourquoi une personne éprouve le besoin d’immigrer ?

Les raisons sont multiples, mais la cause la plus répandue est la pauvreté et la recherche du bien être. Développer les pays du Sud, militer pour un bien être dans le monde entier semble être la solution aux migrations illégales. La gestion policière, l’aide des pays du nord aux pays du sud pour ériger des filtres loin des frontières européennes, les tentatives (britanniques) pour cantonner les indésirables, ne peuvent refouler ou dissuader le désir d’immigrer des populations du Sud assaillies par la pauvreté. Entre deux maux, la misère du sud et le risque de se perdre dans les océans ou des barbelés, ils choisiront ce qui apparaît à leurs yeux comme le moindre mal, c’est-à-dire le risque des océans ou celui d’être refoulé ; et les marchands d’illusions sont là pour convaincre les moins téméraires. La pauvreté peut être vaincue en Afrique par une meilleure gouvernance politique et économique et un commerce mondial équitable et prospère pour tous.

13. Dans la problématique de l’immigration, l’Afrique doit se sentir plus concernée et donc plus responsable. Le Sud, zone de départ est plus interpellé que le Nord, zone d’arrivée. L’Afrique doit se développer et faire de la bonne gouvernance politique et économique son principal ajustement. Contrairement à une pensée répandue, les problèmes générés par l’immigration dépassent de loin les retombées positives pour les pays de départ. Si au plan individuel, l’immigré qui a « réussi » son intégration peut en tirer un grand bénéfice, au plan national ces bénéfices sont faiblement perceptibles dans les pays d’accueil. Mieux, les coûts sociaux et moraux engendrés par l’échec d’une immigration sont plus importants et dramatiques (cas des Burkinabé en Côte d’Ivoire). Il s’agit donc pour l’Afrique de prendre résolument la voie du développement par l’éducation et la formation de ses ressources humaines et ainsi elle pourra mieux exiger l’aide du Nord.

14. Le Nord doit être conscient que dans « une mondialisation qui ne marche pas pour les pauvres, qui ne marche pas pour l’environnement, qui ne marche pas pour la stabilité de l’économie mondiale », « rien n’empêchera ceux qui veulent leur part du gâteau de tout tenter pour y parvenir ». La solution résiderait peut être dans le développement de toutes les parties du monde, donc dans le co-développement entre le Nord et le Sud et entre tous les peuples du monde. Ainsi, l’harmonisation, ou du moins la cohérence des politiques migratoires et la philosophie du co-développement apparaissent comme le remède aux différentes problématiques liées aux migrations. Dans une telle perspective, les gouvernements du Nord et du Sud (et les Parlements doivent y veiller) doivent relever le défi majeur qui consiste à harmoniser trois (3) éléments de leurs politiques migratoires : 1) l’ouverture aux migrations internationales pour les compétences nécessaires à l’économie sur la base d’un principe qui ne porte pas préjudice aux pays de départ. A l’image d’un cours d’eau qui traverse plusieurs pays, la gestion des flux migratoires nécessite la considération de l’autre. Sur cette base l’action de co-développement pourrait envisager la planification et l’investissement (des pays d’accueil et de départ) dans la formation des compétences demandés dans l’intérêt des deux (2) pays. 2) une gestion rigoureuse et ferme des migrations illégales assortie de discours qui tiennent dans la mesure. En termes d’action dans ce registre, les médias, les pays de départ ont un rôle prépondérant à jouer. Les pays de départ doivent reconnaître le profil des candidats à l’immigration illégale et élaborer en conséquence des dispositifs et programmes de développement. Dans ce sens, l’existence de centres d’informations des jeunes pour améliorer l’écoute et l’orientation des jeunes (ruraux comme urbains) sur les opportunités qui existent sur place est prioritaire. A ce titre, l’expérience du Centre d’information des Jeunes sur l’Emploi et la Formation -CIJEF- créé à Ouagadougou avec l’appui de la Coopération Française est à explorer. 3) Une meilleure intégration des immigrés dans le pays d’accueil avec un retour sur investissement dans le pays (région) de départ ; et cela sans que l’intégration ne s’assimile à un « dessouchement » ou à un « dépeuplement » ou encore à une « fuite des cerveaux » des pays du Sud. En termes d’action de sauvegarde, la création de centres culturels (dans le pays d’accueil) ou de jumelages économique et culturel est une piste à explorer.

III- RECOMMANDATIONS

Considérant que la transparence et la publication régulière des informations statistiques au sein de l’espace francophone sur les migrations liées au travail, à la formation universitaire et même aux tentatives d’immigration illégale peuvent contribuer à lever de nombreux équivoques et permettre aux pays du Sud et du Nord d’agir ensemble pour leurs intérêts respectifs, les recommandations suivantes peuvent être faites.

15- l’APF recommande à l’OIF de commanditer une étude complète sur les migrations dans l’espace francophone (Cf plan indicatif pouvant tenir lieu de terme de références).

16- l’APF recommande aux parlements membres (chaque pays) de produire un rapport (lors de la prochaine AG) sur les migrations entre le Nord et le Sud au sein de l’espace francophone dans le cadre de la formation universitaire.

17- l’APF recommande aux parlements membres de veiller à ce que leur gouvernement respectif travaille à l’élaboration et à la mise en œuvre de politiques migratoires qui préservent les intérêts de la francophonie.

18- l’APF recommande à l’OIF à mettre en œuvre et à encourager la mise en œuvre de dispositifs d’informations, d’écoute et d’orientation des jeunes dans les pays du Sud.

Quelques Eléments bibliographiques

Joseph E Stigliz, prix Nobel d’économie ; « la grande Désillusion », livre de poche traduit de l’anglais (américain) par Paul CHEMLA, Librairie Fayard.