Didier Berberat
Conseiller aux Etats

09/09/2006, Le Grand Sommartel (NE)

Journées européennes du patrimoine. « Le pâturage boisé : d’où viens-tu, qui es-tu, où vas-tu ? »

La section 4 de la Constitution fédérale fixe les grandes lignes d’intervention de la Confédération dans les domaines de l’environnement et de l’aménagement du territoire. C’est donc sur la base constitutionnelle des articles 73 à 80 que reposent un certain nombre de lois fédérales visant à protéger la nature en Suisse. Ainsi les lois fédérales sur la protection de la nature et du paysage, la protection de l’environnement, la protection des eaux, la Loi sur les forêts ou encore la Loi sur la chasse, la protection des mammifères et des oiseaux sauvages précisent les interventions de la Confédération et délèguent responsabilités et compétences aux cantons en fonction de principes généraux.

Les pâturages boisés sont assimilés à des forêts par la Loi fédérale sur les forêts et dépendent donc de celle-ci. Les pâturages boisés sont cependant définis clairement à l’article 2 alinéa 2 de l’Ordonnance sur les forêts. Cet article indique que « les pâturages boisés sont des surfaces sur lesquelles alternent, en forme de mosaïque, des peuplements boisés et des pâturages sans couvert et qui servent aussi bien à la production animale qu’à l’économie forestière ». La dimension économique des pâturages boisés apparaît ainsi clairement dans la définition retenue.

Le 11 juin 2006, le Conseiller national bernois Walter Schmied a déposé une motion s’inquiétant du futur des pâturages boisés dans notre pays. Si on ne peut pas dire que j’ai beaucoup d’affinités politiques avec mon collègue Schmied, j’ai toutefois cosigné cette motion pertinente tout comme 22 autres conseillers nationaux issus de l’ensemble des principaux partis représentés au Parlement.

Cette motion, formulée en termes très généraux, invite le Conseil fédéral à procéder à une réflexion globale quant à la valeur et au rôle que jouent les pâturages boisés à l’échelle du pays. Le cas échéant, le Conseil fédéral est prié de proposer des solutions afin de favoriser le respect de ce patrimoine et de prendre les mesures qu’il juge s’imposer.

Cette motion s’inquiète plus particulièrement du projet d’actualisation des surfaces agricoles utiles, le projet SAU, décidé par le Conseil fédéral en 1999 déjà. Ce projet aboutit en effet à une nouvelle classification de ces surfaces beaucoup plus stricte qu’auparavant. Ce projet ne reconnaît pas l’existence des pâturages boisés en tant que tels, qui constituent pourtant un patrimoine vieux de plusieurs centaines d’années, mais seulement leurs parties non boisées disponibles pour l’agriculture. On comprend mieux l’enjeu de cette classification lorsqu’on sait qu’elle sert de base à l’attribution de subventions. Si les pâturages boisés n’y sont pas reconnus dans leur ensemble, leur entretien et donc leur survie à long terme sont ainsi tout sauf garantis. Ces zones sylvo-pastorales n’apparaissent en effet pas de manière naturelle. Elles ont été formées au fil du temps notamment par la présence du bétail aux abords des zones forestières. Sans l’exécution de travaux d’entretien et une charge appropriée de bétail, les pâturages boisés sont rapidement envahis par les broussailles avant de se transformer en de véritables forêts denses et fermées. Sans intervention humaine, la forêt progresse vite. Le Programme national de recherche «Paysages et habitats de l'arc alpin» a montré que la forêt avait reconquis un important territoire en Suisse depuis 150 ans, principalement sur des surfaces ou la production agricole produisait un faible rendement et qui avaient donc été délaissées.

Les pâturages boisés constituent pourtant des biotopes d’une richesse inestimable et d’une grande diversité qu’il convient absolument de préserver. La motion suggère au Conseil fédéral de s’inspirer des travaux de la Commission intercantonale des pâturages boisés jurassiens et du projet Interreg franco-suisse portant sur le sujet, et dont M. Barbezat est responsable, pour déterminer si une action nationale en faveur de ces zones sylvo-pastorales est envisageable.

Le Conseil fédéral a répondu à cette motion en date du 5 juillet 2006. Si le Conseil fédéral soutient la motion dans son orientation, il n’en conseille pas moins aux chambres de la rejeter. Selon lui, l’embroussaillement des pâturages boisés constaté au cours de ces dernières années s’expliquerait par une baisse de l’intérêt que leur portent les agriculteurs et les forestiers. Il ne juge toutefois pas nécessaire de vouloir aller contre cette évolution. Le Conseil fédéral choisit à mon sens de placer les arguments financiers et de productivité bien avant ceux liés à la protection d’un paysage diversifié. Pour la protection de la nature et pour le public qui apprécie un paysage diversifié, il convient à mon sens de réagir et de se battre pour garantir la préservation de ces espaces où nous aimons nous promener.

Par leur travail de pionniers, la commission intercantonale des pâturages boisés jurassiens et le réseau franco-suisse mis en place dans le cadre du projet Interreg ont les atouts mais aussi la lourde responsabilité d’éveiller la conscience du public et des politiques sur la question de l’avenir des zones sylvo-pastorales. L’ensemble des régions de Suisse concernées doivent maintenant empoigner ce dossier, ce qui passe, à n’en pas douter, par une prise de conscience au niveau national et par une intervention de la Confédération. J’espère donc de tout cœur que le Conseil national ne s’y trompera pas au moment où il devra se prononcer sur la motion de Walter Schmied. Un puissant soutien des milieux intéressés sera toutefois nécessaire pour que ce texte trouve un meilleur écho devant les chambres qu’il n’en a eu auprès du Conseil fédéral. Amis des pâturages boisés, je compte sur vous !