Didier Berberat
Conseiller aux Etats

28/08/2006

L’actuelle loi fédérale sur les étrangers est désuète. Datant de 1931, il est juste qu’elle n’est plus vraiment adaptée aux réalités de notre temps. Il n’est toutefois pas tout à fait honnête de citer sans cesse l’année de la mise en place de la loi, celle-ci ayant été modifiée à de nombreuses reprises depuis. Il n’est néanmoins pas contestable qu’une révision s’impose. Hélas, la révision prévue ne prend pas, sur plusieurs points, la bonne direction ! Il est donc légitime d’attendre encore un peu pour procéder à une adaptation de la loi qui tienne véritablement compte des réalités actuelles et qui soit moins discriminatoire et plus humaine !

La nouvelle loi introduit certes des simplifications administratives. Les étrangers possédant déjà un permis de travail en Suisse pourront changer librement de canton et d’emploi. La nouvelle loi permettra également de punir plus sévèrement les passeurs. Il s’agit là d’améliorations difficilement contestables apportées par la nouvelle loi. En revanche, après 10 ans de séjour en Suisse avec un permis B (annuel), le passage au permis C, aujourd’hui quasiment automatique, ne sera plus qu’une possibilité laissée à l’appréciation de l’autorité ! Ceci augmente les risques de discrimination et les situations de stress et d’instabilité pour les étrangers. C’est une insulte de ne pas reconnaître à un étranger le droit de s’établir de manière stable en Suisse bien que, pendant 10 ans, celui-ci ait travaillé pour l’économie de ce pays et y ait payé ses impôts !

La nouvelle loi sur les étrangers est sensée permettre à la Suisse de choisir son immigration. Selon ses partisans, les entreprises n’auront pas de peine à faire venir des travailleurs étrangers hautement qualifiés. En fait, la nouvelle loi aggrave les limitations des travailleurs non européens tout en conduisant une politique frileuse du contrôle du marché du travail. La nouvelle loi est discriminatoire ! Depuis l’entrée en vigueur de l’Accord sur la libre circulation des personnes, les ressortissants de l’Union européenne jouissent de nombreux droits en Suisse. Les travailleurs venant d’un pays non-membre de l’Union européenne n’y auront pas accès, ce qui constituera un obstacle supplémentaire à leur intégration. Le concept de l’immigration choisie est en outre un mythe ! La Suisse compte actuellement 100'000 sans papiers. La loi ne dit rien sur cette catégorie de la population, elle ne répond donc pas à une des questions majeures qu’elle devrait pourtant régler !

La nouvelle loi doit permettre de lutter plus efficacement contre les « mariages blancs » qui pourront dorénavant être facilement annulés. Un mariage sur trois conclu en Suisse est mixte, c’est à dire qu’il uni un Suisse à un étranger. Avec la nouvelle loi, toute personne désirant épouser un étranger devra s’attendre à ce que les autorités viennent fouiner dans sa vie privée. Voisins et collègues pourront même être interrogés ! Un mariage suspect pourra être arbitrairement annulé. On donne donc le pouvoir à l’administration et non à la justice de juger du droit fondamental du mariage.

Toujours concernant le mariage, la nouvelle loi doit permettre d’éviter certains abus. En cas de dissolution de la famille, ses membres ne pourront rester en Suisse que s’ils y ont séjourné pendant au moins 3 ans et s’ils sont bien intégrés. Même si la loi précise que si des raisons personnelles graves le requièrent, les personnes seront également autorisées à rester en Suisse, cette disposition est inacceptable. Elle met en effet en danger les femmes et les hommes, il y en a aussi, victimes de violences conjugales qui ne pourront pas se séparer de leur conjoint sans prendre le risque de perdre leur autorisation de séjour. Si des exceptions sont prévues pour éviter ce problème, il est à craindre qu’elles ne soient appliquées que de manière très restrictive. 3 ans suffisent largement pour qu’un enfant se soit intégré en Suisse et pouvoir exiger son renvoi dans son pays d’origine juste avant ce délai ne prend donc aucunement en compte ses intérêts et son bien-être.

Dans la nouvelle loi, les dispositions sur le regroupement familial ont été modifiées de manière, dit-on, à favoriser la scolarisation des enfants aussi tôt que possible et donc d’en favoriser l’intégration. Les parents devront ainsi faire venir leurs enfants dans les 5 ans qui suivent leur arrivée en Suisse. Ce délai ne sera que d’une année si l’enfant a plus de 12 ans. Pourtant, si les conditions économiques ne sont pas jugées suffisantes, le regroupement familial sera refusé. Parfois, il est aussi dans l’intérêt de l’enfant de pouvoir finir un cycle de sa scolarité dans son pays d’origine. Il peut aussi exister d’autres circonstances faisant que l’arrivée d’un enfant, surtout après 12 ans, dans les délais prévus ne soit pas possible. La nouvelle loi rend donc très difficile l’intégration de tous les membres d’une famille. Elle introduit un droit au regroupement familial différencié entre Suisses, Européens et non-Européens ! Elle contrevient par ailleurs à la jurisprudence de la Cours européenne des droits de l’homme.

Pour toutes ces raisons, il convient d’opposer un « non » ferme à la nouvelle Loi sur les étrangers.

Concernant la modification de la loi sur l’asile, son seul véritable objectif consiste à lutter contre les nombreux abus qui auraient été constatés au cours des procédures d’asile en Suisse. Introduit par les discours de l’UDC à grands renforts de campagnes publicitaires onéreuses, le thème de la « lutte contre les abus » et son vocabulaire ont donc fini par s’imposer dans le monde politique suisse quand bien même les situations litigieuses restent largement minoritaires. En matière d’asile, la Suisse va donc renforcer sa loi alors que le nombre de demandes d’asile est en baisse !

Avec la nouvelle loi, celui qui ne présente pas de pièce d’identité (passeport ou carte d’identité) dans les 48 heures suivant son arrivée sera, en principe, exclu de la procédure d’asile ! Or, il est rare qu’une personne persécutée par un Etat soit en mesure de demander à son gouvernement un document officiel ! Comble de l’absurde, les autorités suisses considèrent habituellement que le fait de posséder un passeport est un indice que la personne qui demande la protection en Suisse n’est pas persécutée !

La nouvelle loi ne prévoit en règle générale pas d’exception pour les familles, les femmes enceintes, les mineurs non-accompagnés, les personnes âgées et les personnes malades ! L’ensemble des durcissements les frappent aussi. Il est ainsi plus que probable que la révision de la Loi sur l’asile viole la Convention des Nations Unies sur les droits de l’enfant, pourtant ratifiée par la Suisse. J’ai déposé en ce sens une question auprès du Conseil fédéral qui, pour l’heure, n’a pas répondu.

Celui qui refusera de quitter volontairement la Suisse pourra être mis en détention pour une durée allant jusqu’à 2 ans, cela indépendamment de tout délit pénal ! Même des mineurs à partir de 15 ans pourront être enfermés mais pour une durée maximale d’un an. Cette disposition va coûter cher : une personne emprisonnée pendant 1 an coûte en moyenne CHF 100'000.-. Elle est également absurde dans la mesure ou la Suisse manque déjà cruellement de place dans ses prisons.

La nouvelle loi supprime l’aide sociale pour toutes les personnes déboutées. Dorénavant, ces personnes ne pourront plus prétendre qu’à une aide d’urgence (distribution de nourriture, mise à disposition d’un logement pour passer la nuit) dépendant principalement des cantons et des communes. Ceci va entraîner des disparités de traitement selon les cantons dans lequel le réfugié débouté se trouve et va augmenter le nombre de personnes placées dans une situation de précarité extrême.

L’exclusion de l’aide sociale sera maintenue même si les autorités autorisent aux personnes concernées de séjourner en Suisse ! C’est le cas lorsqu’une procédure est ouverte par une voie de droit extraordinaire pour une demande de révision ou de réexamen. Ici, on est donc carrément dans le domaine de l’illégalité puisque le Tribunal fédéral a précisé l’an dernier que chaque personne séjournant légalement en Suisse avait droit, si nécessaire, à l’aide sociale. La révision de la loi sur l’asile est contraire à la Constitution fédérale car elle institue une inégalité de droits entre les personnes séjournant légalement en Suisse !

La suppression de l’aide sociale au profit de l’aide d’urgence pour les personnes déboutées conduira très probablement à un report de charges de la Confédération sur les cantons. La Confédération continuera à dédommager les cantons en leur versant des forfaits limités dans le temps mais les montants évoqués actuellement ne suffiront pas. Il n’est en outre pas sûr que les communes seront dédommagées.

En plaçant un nombre élevé de personnes en situation de grande précarité, la révision de la Loi sur l’asile risque de pousser un nombre croissant d’individus à se tourner vers la criminalité de subsistance et d’augmenter le bassin de recrutement de la criminalité organisée. Contrairement à son objectif, la révision de la Loi sur l’asile est donc source d’insécurité pour la Suisse !

La loi prévoit le renvoi systématique des réfugiés en provenance de pays considérés comme sûrs et dans lesquels ils ont transité. La Suisse présuppose donc que ces pays seront disposés à reprendre les personnes concernées sur leur territoire. Ces dispositions conduiront à des négociations incontrôlables voire à des renvois « sauvages ». La Suisse se décharge de ses responsabilités sur les autres pays dont elle va s’attirer les foudres. Cette logique de renvoi vers un pays de transit ne tient en outre pas compte des liens sociaux, amicaux ou de parentés qui peuvent pousser un requérant à venir en Suisse plutôt que dans un autre pays.

Les autorités suisses pourront contacter les autorités du pays d’origine des réfugiés dès la première décision de renvoi, sans attendre qu’un recours soit éventuellement déposé. S’il s’avère que la première décision de renvoi n’a pas évalué correctement les risques de persécutions encourus par le requérant, les contacts pris avec le pays d’origine risquent de mettre en danger les membres de sa famille restés au pays. Les autorités locales pourraient en effet être tentées, par vengeance, de persécuter et de maltraiter les membres de la famille de la personne en fuite.

La personne qui doit se battre contre une décision erronée se retrouve souvent seule. Le délai de recours est généralement limité à 5 jours. Pendant ce cours laps de temps, les réfugiés peuvent être emprisonnés. Comment peuvent-ils se défendre s’ils ne connaissent ni nos langues ni nos lois ?

Les réfugiés deviennent des êtres humains de seconde classe dont les droits fondamentaux ne sont plus respectés. Leur logement privé peut être perquisitionné par la police sans mandat judiciaire. Leurs données biométriques sont enregistrées. Les enfants et adolescents doivent se soumettre à des tests osseux en cas d’incertitude sur leur âge. De nouvelles interdictions de travailler obligent les requérants à vivre de l’aide sociale ! Sommes-nous prêts à cautionner de telles pratiques en Suisse ?

La révision de la Loi sur l’asile est contraire aux idées qu’on peut avoir des devoirs d’un pays moderne et développé comme la Suisse qui, de plus, est fier de sa tradition humanitaire. La Suisse, dépositaire de la Convention de Genève sur les réfugiés, ne saurait renier ses engagements. Comme pour la nouvelle Loi sur les étrangers, il convient donc de dire « non » à la modification de la Loi sur l’asile.

Pour conclure, je dirais que non seulement les deux lois proposées bafouent les droits humains, mais elles participent d’une même logique : s’en prendre aux plus précarisés. Elles nous mettent toutes et tous en danger. Sous prétexte de lutter contre les « abus », contre les « faux étrangers » et les « travailleurs étrangers profiteurs », elles s’attaquent à toutes les personnes réfugiées et à tous les travailleurs étrangers. Aujourd’hui sont déjà prises des mesures contre les « faux chômeurs » et les « faux invalides ». Elles menaceront bientôt l’ensemble des chômeurs et des invalides. Au final, à l’exception de quelques nantis, c’est donc tout un chacun qui est menacé par ces nouvelles lois et les discours qui les soutiennent.