Didier Berberat
Conseiller aux Etats

A fin août dernier, lors de la conférence de presse hebdomadaire du Conseil fédéral, MM. Blocher et Couchepin se sont émus du fait que le Conseil d’Etat neuchâtelois ait joint une circulaire d’information au matériel de vote adressé au corps électoral du Canton de Neuchâtel pour lui recommander de refuser les trois objets fédéraux soumis au vote du 24 septembre 2006 (Lois sur les étrangers et sur l’asile et initiative COSA). Ces deux membres du Gouvernement ont même qualifié cette démarche d’inadmissible et d’illicite.

Eu égard à cette réaction pour le moins disproportionnée, j’ai déposé une question pour demander sur quoi s’appuyait l’Exécutif fédéral pour adopter une telle position.

En date du 15 novembre, le Conseil fédéral a répondu que si les cantons ont le droit d’intervenir dans une campagne fédérale, ils doivent le faire uniquement si l’objet en question revêt un intérêt direct et particulier qui dépasse celui d’autres cantons. Par contre, le Conseil fédéral estime qu’un canton n’a pas le droit de joindre une recommandation avec le matériel de vote reçu par les électrices et les électeurs, puisque la Loi fédérale sur les droits politiques ne l’y autorise pas, sans toutefois l’interdire.

Cette position soudaine, qui ne m’étonne guère, fait preuve, le moins que l’on puisse dire, de formalisme excessif. En outre, elle est contraire à la pratique. Ainsi, par exemple, rien dans la loi n’autorise les cantons et les communes à joindre au matériel fédéral du matériel de vote cantonal ou communal lorsque des votations concernant plusieurs niveaux étatiques ont lieu le même jour. Or, cela se pratique depuis très longtemps pour des raisons évidentes d’économie et la Confédération, qui est parfaitement au courant de ce fait, n’a jamais fait d’observations à ce sujet.

Au surplus, tous les frais d’envoi dudit matériel sont supportés par le Canton et il apparaît que l’autorité qui finance cet envoi peut, à mon sens, fort bien joindre, lorsque l’enjeu est important, une recommandation qui coûtera moins cher que des annonces dans la presse.

Durant ces quinze dernières années, le Conseil d’Etat n’a pas abusé de la situation et est intervenu à quatre ou cinq reprises dans le cadre d’un scrutin fédéral, presque à chaque fois sur des questions touchant l’ouverture européenne, vu la tradition d’ouverture de notre canton et le fait également qu’il est fortement exportateur.

Dans sa réponse, le Conseil fédéral admet toutefois que les hommes et femmes politiques ont la liberté totale de s’exprimer au sujet d’un vote, et Dieu sait si Christoph Blocher use et abuse de cette possibilité. Il considère même qu'un gouvernement cantonal jouit d'une totale liberté pour exprimer une opinion politique, mais pas pour adjoindre une recommandation de vote au matériel distribué au corps électoral, celle-ci étant financée par l'argent du contribuable. Or il y a, à mon sens, très peu de différence au niveau politique et même financier. Si tous les membres d'un gouvernement cantonal partagent un même sentiment au sujet d’un scrutin fédéral et estiment que les intérêts du Canton sont en jeu j’estime que le Conseil fédéral n’a pas à museler les cantons dans ce domaine qui relève de leur compétence.

Le Gouvernement fédéral coupe décidément les cheveux en quatre. A mon sens, la raison de la réaction de l’Exécutif fédéral est liée au fait que dans le cas qui nous occupe, le Conseil d’Etat a osé contrer le Conseil fédéral et les Chambres sur la question de l’asile et des étrangers, ce qui n’a, manifestement, pas plu à certains membres du Gouvernement fédéral, qui estiment trop souvent que les Cantons sont de simples courroies de transmission de la Berne fédérale.

A la question de savoir pourquoi le Conseil fédéral n’avait pas réagi auparavant dans d’autres scrutin à l’occasion desquels le Conseil d’Etat était déjà intervenu, mais dans le « bon sens », il m’a répondu qu’il n’avait jamais été informé, par quelque source que ce soit, de ce genre de pratique. Si notre Gouvernement fédéral ignore un envoi fait à plus de 100'000 personnes, ce dont je me permets de douter fortement, je pense que de gros efforts devront encore être faits en matière de services de renseignements.

Il m’apparaît donc que le Conseil d’Etat devrait continuer à prendre position sur les scrutins fédéraux lorsque les intérêts du canton sont en jeu, malgré la frilosité du Conseil fédéral en la matière.

Didier Berberat Conseiller national